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Blog de réflexions personnelles&politiques.
18 octobre 2015

Qu'on ne nous dise plus que nous sommes soumises

Il y a quelques jours, au téléphone. J'appelais ma mère pour prendre des nouvelles de ma famille, et en particulier de mon fils qui était là-bas depuis quelques jours, et pour lui annoncer que son père voulait qu'il revienne à la maison. Sa réponse, agacée et dure, ne s'est pas fait attendre. -“Puisque son père veut le récupérer, il n'y a pas de problèmes, je demanderai a ton grand frère de nous ramener chez toi. Mais saches que tu ne devrais pas te laisser faire et le laisser avoir le dernier mot. Qu'il veuille récupérer son enfant est une chose qui est normal, qu'il te le laisse continuellement lui et sa sœur a ta seule charge, est autre chose. Je t'ai proposé de le prendre quelques jours et tu as accepté, ceci pour que tu te décharges un peu au quotidien de ton rôle de mère au foyer, que tu souffles, lui ne peut pas comprendre de toute manière, c'est bien un homme de chez nous”. Maman, je te fais grandement confiance pour t'occuper de mon fils quelques jours, ai-je pensé juste après sa reponse, sans avoir eu le courage de le lui dire. Je ne lui ai pas dit non plus que mon fils de deux ans passés me manquait aussi, et qu'après quatre jours loin de moi, j'étais heureuse de le retrouver, même s'il devait rester un ou deux jours de plus. Mais sans contexte, comme elle l'a dit, j'ai pu vraiment souffler et mieux m'occuper de ma fille durant ce laps de temps, et avoir vraiment du temps pour moi seule lorsqu'elle était à l'école. Tout cela était fort appréciable, je dois l'admettre, d'autant que je ne lui confie pas plusieurs jours très souvent non plus, a peu près tout les deux ou trois mois, tout au plus. Aussi longtemps que je me souviens de tout ce que j'ai pu entendre de la part de ma mère me dérouler de ses épisodes tantôt tendus, tantôt douloureux de sa vie de couple avec mon père, je n'ai jamais entendu dire, ni sous-entendre de sa part qu'elle était soumise a mon père. Aussi longtemps que j'ai pu la voir se disputer avec lui, elle, toujours ferme mais constante dans sa défense, lui, emporté et vigoureux dans ses attaques et ses menaces, jamais je l'ai vu baisser la tête face a lui. Et pourtant je sais que c'est déjà arrivé plus d'une fois en dehors de notre présence, je sais aussi qu'il l'a déjà frappé plus d'une fois par le passé, notamment au début de leur mariage. Je sais qu'elle vit avec un homme guinéen qui a reçu une éducation découlant d'une culture traditionnelle d'Afrique de l'Ouest très patriarcale, où il se définit lui-même comme dominant au sein du couple et agit en ce sens envers elle. Que ma mère, originaire de Guinée Conakry elle aussi, a intégré ces schémas, le rôle qu'on lui a assigné en tant que femme, les attentes ou injonctions qui vont avec, et qu'elle a, sur certains points, transmis cette éducation a ses propres enfants selon leur genre. Mais le fait est que son regard sur les hommes de notre famille et de notre communauté est très dur. Et c'est une position que j'observe chez beaucoup de femmes de ma famille, et plus globalement de ma communauté. Ma mère me répète a chaque occasion qui se présente, que je me dois, selon elle, en tant que femme, et surtout épouse et mère de famille, de rester vigilante face aux hommes, de mon conjoint évidemment, de ne jamais le laisser me marcher sur les pieds, de chercher a travailler, a m'émanciper financement au moins. Les nombreuses stratagèmes mises en place par ma mère et les femmes de ma communauté pour résister a ce patriarcat spécifique se font entre elles. Coups de téléphone entre femmes pour se soutenir mutuellement en cas de coups durs, mise en place de cotisations mensuelles entre femmes afin de mettre de l'argent de côté - argent récupéré dans son intégralité tout les mois par une de contributrices a tour de rôle, système de cotisation dont les hommes sont totalement exclus et qui acceptent cet état de fait par tradition, moyens mises en place au niveau de la contraception pour espacer les naissances a l'abri du regard et de l'avis du conjoint - parfois c'est tacite, parfois a leur insu, travail salarié, souvent a temps partiel, souvent précaire aussi, afin d'assurer un revenu supplémentaire au sein du foyer, et ce, sans attendre un quelconque aval du conjoint, qui dans les faits, chez nous en tout cas, n'empêchent pas leurs épouses de travailler, recherche d'aide étatique ou associative de type restos du coeur, secours populaire, etc et j'en passe. On est loin d'une image figée sur papier glacé de soumission de ces femmes où elles ne feraient rien pour alléger le poids de la culture d'origine, patriarcale qu'elle subissent principalement dans leur foyer. Où elles ne feraient rien pour améliorer leur quotidien, leur indépendance financière et matérielle. C'est pas pour autant que je nie les individualités plus durs, et les réalités constantes, le fait que la violence conjugale par ex est légitimé chez nous par un discours violent pro-hommes, les contrôles parfois rudes qu'exercent ces derniers sur les corps des femmes, notamment concernant la sexualité, le fait que la gestion de la maisonnée pèse principalement sur les femmes, etc. Ce que bien des personnes aiment tant appeller du “relativisme culturel” - qui souvent justifie leur racisme, même latent sous couvert de bonnes intentions, est pour moi une vision plus intérieure d'une oppression dont les oppressées tentent à leur échelle et à leur manière de lutter contre, un regard plus nuancé donc, que les personnes extérieures n'ont pas, car elles ont une vision très partielle des choses, d'une culture et de mécanismes qu'elles ne connaissent pas en réalité. La société majoritairement blanche où vivent un certain nombre de ces femmes aujourd'hui les désigne constamment comme étant soumises a leur conjoint, a leur culture d'origine. Celles vivant en France, mais aussi celles vivant ailleurs dans le monde, via une image unique qui sont fait d'elles. Toutes ces femmes et mères racisées originaire du continent africain, des caraïbes, et d'autres régions du monde - car je constate que la désignation d'une soumission et de passivité conjugale est caractéristique de ce regard raciste que subissent les femmes racisées, quelque soit la région du monde d'où elle seraient originaires et vient avec une situation sociale de vie de couple et surtout la naissance d'enfants -immigrées ou de la seconde génération née ici ayant reproduit le même schéma patriarcal, pour beaucoup musulmanes, voilées ou non, chrétiennes, mais pas seulement, malgré la diversité de leurs parcours personnels, malgré le fait que le patriarcat s'exerce plus ou moins fortement selon la région du monde d'où elles sont originaires, on les essentialise dans une forme de soumission figée et constante. Cette essentialisation, en plus d'être raciste, est une offense a leur combat quotidien, a leur manière de résister seules, ou en groupes de femmes, a ce patriarcat qu'elles subissent plus ou moins durement. C'est les déshumaniser, leur ôter toute capacité de réflexion et de prise d'initiatives. C'est notifier qu'elles n'existent pas pour elles-mêmes mais n'existent que pour être sauvées par autrui. C'est nier qu'elles sont originaires de sociétés où l'entraide familiale, surtout entre femmes, a une place centrale, et est assez a l'inverse d'une société individualiste, ce qui leur permet de pouvoir partager leur expériences entre elles et s'organiser, prendre des initiatives. C'est aussi penser que ces problématiques sont toujours ailleurs et jamais chez soi. Qu'on ne dise plus qu'elles sont de fait soumises, alors que la plupart d'entre elles ont compris l'oppression patriarcale spécifique a leur culture d'origine qui pèse sur elles et dont elles tentent de lutter contre, seules ou en groupes de femmes, ici ou ailleurs dans le monde. Qu'on ne dise plus qu'elles sont soumises. Vous les déshumanisez ainsi, niez leur existence même. Qu'on ne me dise plus que je suis soumise, moi qui suis dans une situation personnelle similaire a toutes ces femmes, car c'est écraser d'un coup de pied violent toutes les réponses que je peux faire ou tenter de faire, a mes risques et périls, contre ce patriarcat spécifique à ma culture d'origine, dont mon conjoint et ma famille est fortement imprégné, et qui m'etouffe aujourd'hui. Je la vis cette contrainte, constante, je n'ai pas besoin qu'on me dise ce que je sais déjà, surtout d'une personne totalement extérieure a ma culture d'origine. Je n'ai pas vraiment besoin qu'on m'enseigne ce que je tente déjà de faire. Je préfère qu'on me tende une main ouverte, sincère, qu'on se propose être là si besoin sans se censurer de parler de ses propres soucis en ma présence, et même si je sais pertinemment que je pourrais difficilement faire appel a une personne extérieure pour me soutenir sur le moment, un soutien m'est toujours bienvenu. Qu'on ne nous dise plus que nous sommes soumises.
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